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Franc-Maçonnerie libérale et spiritualité

La Franc-Maçonnerie libérale et adogmatique,  est-elle incompatible avec une forme de spiritualité ?

La Franc-Maçonnerie libérale et adogmatique, héritière des Lumières, est rationaliste, humaniste et engagée dans la société. Cela ne l’empêche pas selon certains de développer une forme de spiritualité.  

On pourrait comme point de départ évoquer Spinoza. Si Dieu existe, Dieu c’est le tout, et nous sommes dans ce tout. « Deus sive natura». « Dieu ou la nature », ou bien « Dieu, c’est-à-dire la nature ».  

A contrario, on aurait un Dieu transcendant. Mais l’idée d’une force créatrice qui nous dépasse, et qui est cause de tout, de notre existence et de celle du cosmos n’est qu’une hypothèse. Et oublier son caractère hypothétique, serait être pétri de certitudes, et sans doute avoir franchi la limite pourtant claire entre la croyance et le fanatisme .

Ne peut-on pas cependant considérer l’invocation du Grand Architecte de l’Univers, et le déisme qui en découle, comme une spiritualité qui rassemble, là où les religions ont historiquement divisé et meurtri ?

Un des textes fondateurs de la franc-maçonnerie est celui du pasteur Anderson. Cet écrit a fait couler beaucoup d’encre car même s’il était exceptionnellement progressiste, au début du 18ème siècle rassemblant catholiques et protestants, nobles et roturiers sous le toit d’un même temple, de nos jours il peut nous paraître éminemment conservateur, pour ne pas dire borné, d’exclure les athées alors que ceux-ci ainsi que les agnostiques, constituent un courant de pensée majeur, et le fruit d’une liberté fondamentale. Cette situation historique nous fait mieux comprendre la fameuse formule du pasteur Anderson : « Un Maçon est obligé de par son Titre d'obéir à la Loi Morale et s'il comprend bien l'Art, il ne sera jamais un Athée stupide ni un Libertin irréligieux. ».

D’autant plus qu’une lecture plus attentive conduit au légitime questionnement sur les intentions de l’auteur. Le pasteur Anderson voulait-il interdire l’accès au temple à tous les athées ou bien Anderson voulait-il simplement exclure les athées stupides (entendons « bornés », « irréfléchis ») et laisser la porte ouverte aux athées dont le choix était le fruit d’une réflexion argumentée ? Le débat reste ouvert.

Quel fut la position du Grand Orient de France, principale obédience libérale et adogmatique dans le monde sur ce sujet ?

Tournant fondamental dans l’histoire de la franc-maçonnerie, le Grand Orient de France à la fin du XIXème siècle, s’appuyant sur l’ambiguïté du texte d’Anderson, et aussi sur tout un contexte (le positivisme d’Auguste Comte, la naissance de la 3ème république, la laïcité en fermentation, les valeurs des Lumières qui reviennent au premier plan) a pris une décision historique majeure qui allait le distinguer à tout jamais de la franc-maçonnerie dite « régulière ».

Lors du Convent de 1877 le GODF décide de supprimer la référence déiste de l’article 1er de sa Constitution et affirme, dans le même temps, la liberté absolue de conscience, c’est-à-dire la liberté de croire ou ne pas croire, considérant que le déisme n’est plus une évidence, et que les options de croyances doivent relever du choix intime, libre et éclairé.

Selon vous quelle est la place de la spiritualité dans la Franc-maçonnerie d’aujourd’hui ?

Un Franc-maçonnerie recroquevillée sur ses textes et ses querelles du passé n’aurait pas d’avenir.

Nous devons regarder devant nous et répondre tous unis aux défis qui attendent les générations futures.

Certains francs-maçons invoquent le Grand Architecte de l’Univers, d’autre pas, certains considèrent qu’il est essentiel, d’autre préfèrent se référer aux progrès de l’humanité. Déistes versus humanistes ?  Certains disent que le Grand Architecte de l’Univers n’est qu’un symbole et qu’il est à ce titre prêt à convenir à toute forme de spiritualité, peut-être même à un athée.  D’autres vous diront que même les ateliers qui n’invoquent pas le Grand Architecte de l’Univers et qui sont réputés laïques peuvent parfaitement convenir aux croyants très pratiquants. Les obédiences libérales et adogmatiques ont sans doute trouvé la seule option réellement universaliste en n’imposant pas aux loges le Grand Architecte de l’Univers. La franc-maçonnerie doit être au centre de l’union de toutes les sensibilités.

Mais l’humanisme n’est-il pas une forme laïque de déisme ?

Une croyance en Dieu, même si elle s’affranchit du joug religieux, et si elle se veut un symbole des plus universels, sera difficilement aussi universelle que l’humanisme. Tout déisme maçonnique est un humanisme mais tout humanisme n’est pas un déisme. Aimer l’homme pour lui-même, croire qu’il est capable de progresser en humanité en taillant sa propre pierre, et en même temps être capable d’améliorer la société, la rendre plus libre, plus juste, et plus fraternelle, est une aspiration des plus universelles.

Si c’est l’humanisme qui rassemble tous les francs-maçons, y a-t-il alors une place pour la spiritualité ?

Il n’y a pas que l’humanisme. Quelle que soit l’obédience, ou le rite pratiqué, le socle commun, qu’on retrouve dans tous les temples maçonniques, est le sens du sacré.

Ce sens du sacré, quel est-il ? Ne peut-il pas se défaire d’une nécessaire transcendance ?

A chaque tenue, le maçon ouvre et ferme des travaux. Il consacre un temple, donc un espace sacré, et des travaux qui ont une durée limitée, un temps sacré.

Pourquoi parler de sacré, alors qu’un temple maçonnique n’est pas une église, et que la franc-maçonnerie n’est pas une religion, et encore moins une secte ?

La réponse peut paraitre surprenante : parce que le sens du sacré n’est peut-être pas le privilège des religions. Comme l’a fort bien évoqué Mircea Eliade, le sacré est une rupture dans l’homogénéité du temps et de l’espace. Les maçons en créant une tenue ouvrent une brèche dans l’espace et dans le temps. Pour dire quoi ? Pour croire en quoi ?

Si l’espace est sacré, ceux qui occupent cet espace le sont tout autant.

1/ Chaque maçon sacralise son temple intérieur en reconnaissant qu’il est en perpétuel travail sur lui-même pour s’améliorer.

2/ Chaque maçon sacralise l’humain qui est à ses côtés en le reconnaissant comme un frère.

3/ Enfin, tous les francs-maçons sacralisent l’œuvre qu’ils doivent accomplir ensemble, leurs devoirs envers l’humanité.

Car travailler sur soi, reconnaitre et aimer l’autre, rendre le monde plus juste et plus fraternel, sont les facettes d’un même projet.

Spinoza a insisté sur le désir en tant qu’Essence de l’homme. Et qu’est-ce que désirer ? C’est donner de la valeur à ce qui n’en aurait pas sans une conscience.

Prendre conscience de la valeur du monde est essentiel, car ce monde, cette société, cette nature, il faut apprendre à l’aimer, pour espérer l’améliorer, et apporter ainsi une pierre, si petite soit-elle à l’aventure de l’humanité, aventure à laquelle nous avons la chance de participer le temps d’un souffle. La méthode maçonnique est avant tout une méthode pour donner sens à la matière.

Même si certains maçons discutent encore parfois de la nécessité d’un livre sacré en loge, le sens même du sacré les unit.

Se dégager de la matière ou plutôt donner du sens à celle-ci ?

Tout à fait osons l’idée de matérialisme spiritualiste qui n’est pas sans rappeler la spiritualité sans Dieu remarquablement évoquée par André Comte-Sponville.

Spiritualité de l’immanence plutôt que de la transcendance, spiritualité de l’ouverture au monde plutôt que de l’intériorité, spiritualité de l’engagement plutôt que du repli sur soi, et enfin spiritualité de la pensée libre, car si la pensée est asservie à un dogme ce n’est plus de la pensée comme l’a si bien évoqué Henri Poincaré :

« La pensée ne doit jamais se soumettre, ni à un dogme, ni à un parti, ni à une passion, ni à un intérêt, ni à une idée préconçue, ni à quoi que ce soit, si ce n'est aux faits eux-mêmes, parce que, pour elle, se soumettre, ce serait cesser d'être. »